Un dimanche chez les roms de Velaux - 10.02.13
J'aime bien les gamins roms, parce qu'ils sont indisciplinés au possible. A peine leur propose-t-on un jeu que, déjà, ils se le sont approprié et se sont débrouillés pour en détourner les règles. Alors voilà, on est arrivés chez eux dans l'après-midi avec nos caisses de jeux sous le bras. Le temps fait grise mine, le terrain aussi. On interpelle les cinq gamins qui traînent dehors malgré le froid, on installe des espaces pour qu'ils puissent s'amuser avec ce qu'on leur a ramené, et cinq minutes après c'est déjà le bordel ! Ça pousse, ça crie, ça rigole, ça court. Ça deviendrait presque un peu violent aussi des fois, alors il faut surveiller un peu quand même (« eh non, non, ça c'est une quille, frappe pas les autres avec ! ») Faire semblant de rétablir l'ordre par moments, pour les laisser recommencer juste après. C'est ça, le jeu, ici. Un peu chaotique, d'accord, mais tant que je vois des sourires sur les visages, je me dis que c'est réussi.
Des fois, tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi, ils se prennent au jeu. Pendant une minute, cinq, dix, ils respectent les règles, ils se laissent de l'espace les uns aux autres et jouent chacun leur tour. Et puis finalement, leur envie de chahuter reprend le dessus, l'un en pousse un autre qui part en criant à l'injustice. Comme ce môme, petit bonhomme aux grands yeux tout bleus, à la figure pleine de terre et de crasse. Ça fait déjà cinq ou six fois que je le vois partir bouder, offrir sa bouille pleine de larmes à qui voudra bien le consoler. Il râle, pleure, tape du pied un moment, puis comme il voit que les autres s'en moquent, finalement, il revient au jeu et recommence à rire avec eux. Jusqu'à ce qu'un autre lui pique sa place... et ça recommence.
Vu que les enfants sont peu nombreux, on peut se permettre d'aller parler avec les adultes, d'échanger avec toute la petite communauté qui vit là. Bianca, une jeune fille de 18 ans, nous invite chez elle. Vue de l'extérieur, la caravane n'est qu'une carcasse de tôle mangée par la rouille. Elle est, en fait, comme toutes les autres : une épave qu'on croirait échouée là depuis des dizaines d'années. Et pourtant, il suffit que Bianca ouvre la porte pour qu'une chaleur enveloppante vienne nous cueillir. On entre. Bianca referme la porte. Ce qu'il fait bon là-dedans ! Au cœur de la grisaille et de l'insalubrité du terrain vague, la caravane est une bulle de sérénité, un petit cocon de confort. Confort précaire, mais confort quand même. Au coin de la pièce, un poêle à bois qui réchauffe les corps et les cœurs. A côté de la fenêtre, quelques chaises et une petite télé (un peu grésillante) qui diffuse des blockbusters américains sous-titrés en roumain. Au fond, la chambre : un grand lit jonché d'oreillers et de couvertures, sur lequel est allongé un petit corps endormi. C'est Anaïs, la fille de Bianca, née trois mois plus tôt.
On s'assoit. Bianca nous demande si on veut boire quelque chose (« oh, non, ça ira, merci beaucoup » ; « Si, si, s'il vous plaît, prenez ! »). Et on reste là un moment à discuter de tout et de rien. On raconte un peu de nos vies. Le sujet de la maison revient souvent. Bianca nous demande si on a une maison – « oh, bah, un petit appartement d'étudiant » – , si nos parents ont une maison – « oui, oui... ». On lui dit qu'il fait bon dans sa caravane, qu'on s'y sent bien. « Mais, c'est que, on n'a pas de maison, tu comprends, toujours, on bouge, on bouge, mais il fait froid, et moi j'ai ma fille, et toute la famille, et on n'a pas de maison ». Ils vivent à 7 ou 8 là-dedans : le père, la mère, les enfants, la belle-soeur, la cousine, le mari...
Comment leur expliquer que, chez nous, la caravane, on trouve ça « cool » ? La liberté de mouvement, être sur la route sans quitter la maison, être dans la maison sans quitter la route, tout cet imaginaire qu'on s'est construit autour de la vie nomade. Moi la première, je suis séduite par tout ça. Mais là, j'en ai presque honte. Je me sens une bourgeoise rêvant d'exotisme, exotisme qui, eux, les met en souffrance.
Le froid se fait plus vigoureux. Un par un, les enfants commencent à rentrer chez eux, se chamaillant encore un peu pour clore le moment avant d'aller se blottir près d'un feu auprès des leurs. Il n'en reste plus qu'un. On lui lance un « au revoir » de loin, mais il ne nous entend pas : il s'est mis un gros casque de moto sur la tête, beaucoup trop grand pour lui, et slalome entre les caravanes en tirant derrière lui un chariot en plastique tout déglingué. C'est le moment pour nous de repartir. On en a vu des choses, on en a entendu des histoires, ça n'a duré que quelques heures mais le partage était au rendez-vous, il nous a tenu chaud. On grimpe dans la voiture en se racontant nos petits moments privilégiés avec les uns et les autres et en faisant des projets. Revenir, mettre de nouvelles choses en place. « La prochaine fois, on pourrait faire ça. » « Oh, et si on organisait... ? ». En nous disant au revoir, Bianca nous a dit merci.
Fin d'après midi. Je rentre à la maison. Je retrouve ma réalité à moi, troublée d'avoir partagé un peu de la leur.
Manon L.