Les Vacances de La Grande Famille - 09/16.08.11
“Tu veux venir camper avec des potes, ce weekend?”
Aziz a le sens de l'euphémisme.
Ceci n'est pas un weekend à la campagne ; ceci n'est pas une réunion de copains en vacances. C'est bien pire.
Moi, je ne connais ni la Grande Famille, ni les Cévennes ; je ne joue même pas de musique, et je n'ai rien pour camper. “J'ai pas un rond,” j'objecte ; “je suis pas sure que ce soit une bonne idée”
En fait, c'était l'idée du siècle :
Vendredi 12 Aout 2011, donc. On se réveille à l'heure, à Marseille. L'idée est de rejoindre le reste de la troupe à Aix-en-Provence, en milieu de matinée. On y arrive avec quelques heures de retard, mais sans vraiment comprendre ce qui nous a retenu.
Remarque, ça a l'air d'être un peu le cas de tout le monde.
Les gens sont rigolards et détendus. On a deux vieux camions, un bleu, un rouge, que l'on rempli ras-la-gueule d'instruments de musique, de matériel photo et de fromages de chèvre. Ça s'annonce bien !
On est une douzaine au démarrage, de seize à cinquante ans; c'est une joyeuse équipée de personnages bienveillants, tous différents, chantants et colorés. Certains sortent déjà leurs instruments, et quelques heures plus tard c'est à coups de trompette que l'on traverse Saint Jean du Gard.
Plus haut dans les collines se dresse la maison A. Mazel, lieu de naissance du chef camisard du même nom; un mas de pierre magnifique qui fut un refuge pour les protestants soulevés contre le pouvoir royal catholique au début du XVIIIe siècle. Ce lieu historique est un centre de “résistances culturelles, économiques et écologiques” tenu par l'association Abraham Mazel, qui organise rencontres, débats et conférences, dont vous pourrez trouver tous les details ici: http://abrahammazel.voila.net/page1/index.html
Claude et Agnès, gardiens de la maison, nous y accueillent avec la bonhomie des vieux amis. Tout heureux d'arriver, on installe notre camp dans un pâturage que les ânes ont bien voulu nous prêter. Par un petit chemin de forêt, on peut descendre se baigner dans le Gardon. On y descend tout ce qu'on a, de l'accordéon à l'harmonica. C'est si beau ici, tellement frais et paisible, qu'on laisse filer le rester de la journée.
Le soir, c'est le chaos joyeux de toute bonne grande tablée ; tout le monde en même temps parle du lendemain, d'écologie, de bon vin et de poésie. On se lève bientôt au son de l'accordéon, on danse avec les guitares, on valse sous les étoiles.
“C'est les vacances” Norbert répète ; mais faudrait quand même gagner notre croûte.
Le lendemain matin, la Famille investit les marches de l'église de Saint Jean. Une petite foule se masse rapidement autour des musiciens, des jongles d'Arnaud, de la lumière de Clémentine. Les passants dansent, rient avec Nelly ; les enfants insistent auprès de leur parents pour rester un peu, allez, juste encore une, siteplait. Les pièces pleuvent dans l'étui à guitare.
Puis on se rentre tranquillement pour un sieston au bord de la rivière, dont le clapotis de l'eau claire se mêle à nos chansons.
L'après midi, un journaliste/écologiste/pasteur/auteur vient tenir conférence à la maison Mazel. Une nouvelle quinzaine de personnes se serre avec nous sur les bancs. On débattra jusqu'au soir de décroissance, d'action locale, d'écologie, de religion, et de sauver le monde en général, pendant que les Thénardier iront faire danser les villageois dans le soleil couchant.
Quelques verres au bar plus tard, une processions de clowns et de machines rocambolesques envahissent les rues (il y a un festival de théâtre à St Jean du Gard). Certains resteront jouer le blues sur la terrasse, d'autre suivront le cortège pour s'ébahir devant un spectacle son et lumières délirant, poétique et drôle. L'hystérie des clowns est contagieuse : en nous les fous s'éveillent et joignent la farandole.
Le soir, la contrebasse a fait son entrée: Olivier, honorable président de la Grande Famille, nous a rejoint avec des arguments de poids. Avec une guitare et un ukulélé, c'est parti pour un bœuf jusqu'à tomber de fatigue.
Voilà déjà dimanche, jour de marché bio au village d'Anduze, ou se côtoient produits de terroir et artisanat. Cette semaine avec la Grande Famille en visite, on y trouvera aussi des airs de musette, un baleti de trottoir et de grands jeux en bois, pour une petite partie avec les passants. On y rencontre François et son violon, un couple de flûtistes, un second accordéon, et ça tape dans les mains jusque dans la buvette.
L'après midi, la pluie nous garde cachés sous la maison Mazel. On s'occupe avec les jeux en bois, on tape le carton, on philosophe ou on bouquine pendant qu'Aziz, clown photographe, nous prépare un couscous très attendu. Des invités rencontrés sur le marché nous rejoignent pour diner : la tablée devient gigantesque et le festin est fameux. On chante du Renaud jusqu'à en perdre la voix, on s'engueule sur la décroissance ou les camisards, et au dessert on se délecte de poésie de comptoir.
Le lundi, le thème est à la détente. Les Thénardier préparent le concert de la soirée, un e équipe est partie sur la marché avec musique et jeux, les autres bullent au soleil, regardent la terre sécher, cuisent des pizzas ou visitent une fromagerie artisanale avec ses pierres, ses chèvres et ses lamas. François le violoniste ne nous a plus quittés – comme moi, il est tombé amoureux de la Grande Famille – et le soir venu, il interprète avec le groupe des morceaux poétiques, originaux et désopilants, dont j'attends avec impatience les enregistrements.
Mais voici que c'est mardi, et les vacances dans les Cévennes, c'est fini. C'est l'heure de rentrer à Marseille et reprendre le travail... “Et le festival d'Aurillac, ça te dit?” Tant pis pour Marseille ; à mort le raisonnable. C'est parti pour le Cantal ; un morceau simple de belle vie, d'art et de folie douce. Et vive l'art de rue, et vive la Grande Famille ! C'est décidé, je ne les quitte plus.
Ella