Publié par La Grande Famille

Aujourd’hui c’est le 11 décembre, je vais fêter la St Daniel à ma façon. Pour la deuxième fois, à l’invitation de Norbert et ses amis de la Grande Famille, je me rends à la Maison d’Arrêt de Luynes. On se retrouve tous devant la porte, avec nos instruments de musique. C’est curieux, les bâtiments sont immenses, mais la porte est toute petite. On dirait presque une entrée de service. Nous retrouvons là, avec Marie-Véronique que je sais très engagée dans le travail bénévole avec les détenus, et plusieurs personnes organisatrice de l’évènement. On a le temps de bavarder, il faut être patient : une fois de plus je vérifie que, s’il n’est certes pas facile de sortir de prison, il n’est pas facile d’y entrer ! Un long marathon commence. Donner sa carte d’identité.Attendre. La porte s’ouvre sur un hall tout petit. On attend, on fait la queue. Des membres du personnel en uniforme sont prioritaires pour passer devant nous. Nous avons quelques instruments encombrants, moi avec mon clavier, le siège, le stand...Mireille avec sa harpe...C’est comme si on prenait l’avion. Se débarrasser de tout élément métallique, je retire ma ceinture. Vais-je faire sonner le portique avec ma prothèse de cheville? Tiens, non même pas ! Par contre Mireille fait sonner, elle passe, repasse sous le portique...finalement de guerre lasse on la laisse franchir la frontière fatidique. Traversée d’une cour avec quelques rares plantes faméliques. Nouvelle porte, une grand sas avec d’immenses grilles, on fait de nouveau la queue, il faut que tout le monde soit là. Enfin la deuxième porte s’ouvre. Là on sent qu’on est dans du sérieux, je lève les yeux : en haut des murs, les fameux « concertinas », ces barbelés en spirale bardés de lames de rasoirs. A ma droite, de grands immeubles, chaque petite fenêtre représente une cellule. J’imagine. On refait la queue dans une sorte de préau. De nombreux détenus sont là. Enfin nous entrons dans cette grande salle, des tables rondes ont été disposées, et le public est là, déjà installé. 6 ou 8 personnes par table, ça fait pas mal de monde. Pas de temps à perdre, Dans le fond, une estrade en guise de scène. Les bénévoles installent les boissons et biscuits, on installe vite nos instruments, on branche le clavier...Et c’est parti. Quelques notes au clavier et Norbert nous présente rapidement. J’entonne « Armstrong »avec accompagnement au piano. Tout en chantant j’observe ce public d’hommes, je n’en reviens pas tellement l’écoute est immédiate, attentive, du coup je donne à fond sur la chanson de Nougaro !

 

Pas de programme bien arrêté, Norbert m’avait prévenu et avait balayé mes appréhensions : tu verras, ça va aller , ça va s’enchaîner, ce sera fluide… Il avait raison ! Nous enchaînons dans l’improvisation différentes séquences, à tour de rôle. Je découvre le talent de mes collègues. Dans un style folk Christophe interprète un solo sur son nickelharpa, cet instrument visuellement extraordinaire , entre le violon et la vielle. J’esquisse quelques accords pour l’accompagner. Mireille entame un morceau à la harpe, la sonorité un peu mystérieuse de l’instrument agit de façon magique sur l’auditoire dont l’écoute ne se dément pas. Marilène, toute de noir vêtue, improvise une danse, dit un poème. Aziz circule dans les tables avec un carnet pour recueillir auprès des détenus une moisson de mots. Il revient sur scène , nous lit la liste des mots obtenus, et de but en blanc nous embarque avec ces mêmes  mots dans une histoire extraordinaire Sur scène comme dans le public nous sommes captés, étonnés par sa performance. Norbert enchaîne avec une chanson de Neil Young, guitare et harmonica. Je chante mon « chant des épices », et « coeur migrant » avec le bendir. Un gars se manifeste pour en jouer et va rester sur scène avec nous. Poèmes, notes de harpe, danse, chansons, ... finalement ça passe vite et on doit terminer, ce sera l’énergie communicative de « Bella Ciao ». Après, pas question de s’attarder, les sodas sont rangés, les instruments repliés ; en sortant quelques détenus disent merci. Moi j’aurais envie de les remercier d’avoir ainsi fait preuve de cette écoute bienveillante qui a fait de ce moment un vrai partage.

Après avoir franchi dans l’autre sens toutes les grilles et tous les sas, je récupère ma carte d’identité. Nous nous retrouvons dehors. Heureux, sans nous l’avouer, d’être de ce côté là de la porte : c’est quand même sacrément bon, la liberté …

 

Daniel Beaume. Association Terre de Chansons

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