Roadtrip des collines (1er et 2 novembre 2019)
Soirée chez Manon et Norbert
Première soirée chez Manon et Norbert. Les lueurs des bougies, les bruits de la forêt et de la nuit, dans la cabane et la caravane accolées, la chouette hulotte hôtesse des bois détrempés par l’orage. Manon, Norbert, Charlotte, Aziz, Déborah, Christophe, Jeff, Marine qui se joint à nous pour la soirée et moi. On déguste la soupe de courge mijotée par Manon et les oignons préparés par Marine. C’est la soirée d’Halloween. Aziz sort sans bruit et fait une apparition très terrifiante à la fenêtre, Manon nous fait visionner en boucle une vidéo où sa jeune cousine terrorise sa grand-mère avec un masque d’horreur, la réaction de la grand-mère est énorme, grosse rigolade. On se répartit les emplacements pour la nuit. Le dos retrouve le sol et le corps sa danse de limace dans le duvet jusqu’à l’engourdissement du sommeil.
Les gorges de Régalon, le village des cairns
Des bruits de plancher qui craque sous les pieds, la bouilloire d’eau chaude qui siffle, des bâillements, des étirements. Sur la gazinière, une casserole de porridge d’avoine, eau, amande et lait végétal, dont on se régale sur la grande table dehors. Le café chaud qui fume entre les mains qu’on réchauffe. On jette un œil collectif sur la grande carte IGN dépliée et puis sacs sur les dos avec répartition des denrées pour la journée. Il est 10h00.
Pieds dans l’herbe verte, fraîche de rosée. Le chemin traverse un champ de radis qu’on croque au passage, frais et humides. Le sentier qu’on rejoint par la route nous emmène vers les gorges. Je refais mes lacets, j’ajuste les sangles du sac, le poids est rééquilibré, c’est parti. Traversée d’une forêt ombragée, d’arbres bas et noueux, de troncs légers comme des lianes, des cabanes de branches partout en forme de tepees. Puis les gorges étroites, profondes, grises, suintantes et couvertes de mousses.
Des rochers dégringolés sur les flancs, coincés entre les deux parois verticales qui se font face, vertigineuses. On passe sous une roche de quelques tonnes, arrêtée dans sa chute à deux mètres du sol par la gigantesque percée minérale. Des tunnels creusés dans la pierre. Des toboggans qu’on remonte en les escaladant à deux mains, sur lesquels on s’agrippe pour lever le poids du sac et se hisser. Dans les étroits corridors des gorges, ça passe juste, les sacs frottent les parois, c’est sombre, il ne faut pas être claustrophobe.
Le sentier débouche dans une clairière et là une caverne sous la roche. Une multitude d’amas de pierres, des cairns disposés avec fantaisie, équilibrisme, pierres amoncelées et végétaux. Première pause-café avec le réchaud et la petite cafetière trois tasses. Marche tranquille ensuite jusqu’au déjeuner froid qu’on pose sur une table naturelle en pierre, puis tout de suite après, c’est l’ascension jusqu’à la crête, il nous faudra gravir 500 mètres de dénivelé pour atteindre l’énorme rocher en surplomb qu’on distingue d’en bas. On laisse à plusieurs reprises de petites indications fléchées pour Elise et David qui nous rejoindront plus tard.
L’ascension des crêtes
Lacets caillouteux entre garrigues, pierres sèches, herbes coupantes, buissons ras et épineux. En s’élevant, on distingue les massifs alentour, le creux dans le sillon de la Durance, la plaine. C’est le versant sec et exposé aux vents qu’on grimpe. Végétation rase et économe. Sur la crête, les cèdres se rassemblent, plus nombreux. Longue pause face au magnifique panorama du sommet pour se remettre de l’ascension qui s’est révélée assez rude avec les sacs. Une heure après, dans la forêt gorgée d’eau et de vert, c’est le refuge, la joie d’y être. Il est 17h30.
On peut enfin libérer durablement les dos, dérouiller les muscles crispés sous l’effort. La pluie menace. Il faut rapidement s’affairer. Recherche de bois mort aux alentours, le rentrer, nettoyage grossier du refuge, plans pour organiser les couchages. Le refuge fait pour 4, nous serons 10 à y dormir avec Elise et David qui nous rejoignent bientôt. Episode cocasse d’un beau tronc sec de deux mètres qu’on voudrait pouvoir brûler. Tout d’abord, on pense à le déposer directement dans le feu, mais il dépasse largement du foyer. Aziz voudrait faire une tentative pour le casser en le coinçant et en jetant de grosses roches dessus. Puis l’idée vient de l’entailler avec la petite scie d’un couteau suisse, puis de le coincer entre deux arbres et de sauter dessus pour le casser. Ça finira par marcher après plusieurs essais, beaucoup de persévérance et de foi.
Une nuit au refuge
Riz cuit à même le feu de bois, sauces variées, fromages, crèmes d’amandes au curry et à l’ail des ours. Jeux de mots à trouver de façon synchronisée autour de la grande table, des explosions de rires. Vers 21h00, un jeune couple débarque avec son petit chien sous la pluie battante. On se serre pour les accueillir, on refait les plans pour 12, en se serrant au maximum, ça passe. Je m’endors pendant le loup garou, tout bien recroquevillé contre une poutre, sur un des couchages superposés.
Réveil matinal dans la brume humide et fraîche. On ravive un petit feu avec quelques branches qui restent de la veille. Plusieurs cafetières de jus noir, pain, petits gâteaux, muesli mélangé de lait en poudre pour ma part. On repart vers 9h00. Elise et David doivent repartir, ils redescendent par les gorges.
La grande forêt de cèdres dans la brume
On continue nous vers la grande forêt de cèdres, la route des crêtes en direction de Bonnieux. Brume vraiment épaisse, qui recouvre tout. On ne distingue dans la gris qu’un ruban d’asphalte régulier qui défile sous nos pieds. Thym exalté par le grand air de la crête, champignons blancs géants, lumière blanche aveuglante. On croise des chasseurs en pleine battue, des chiens munis de clochettes et faisant biper inlassablement leurs dispositifs sonores de reconnaissance. Grosse averse. Pour se couvrir, chacun sa stratégie. Capes de pluie, bâches, sacs poubelle, tapis de sol et on accélère sensiblement le rythme. Le sac pèse lourd ce matin. Plusieurs haltes dans les sous-bois trempés. Partage de fruits secs, pâte d’amandes, café. On arrive vers 13h00 au refuge dit de la chauve-souris. Elles y nichent à l’étage qui est fermé pour ne pas troubler leur gîte. Repas du midi cuit au feu de bois, pain, charcuteries, légumes crus. La pause revigore. On repart vers Bonnieux sous un soleil doux qui illumine le paysage qui s’étend sous nos yeux. Le mont Ventoux, le plateau d’Albion, les hauteurs de Banon et de Sault. Lente descente dans les bois, sur un sentier moussu aux pierres et roches glissantes, sur le versant nord, humide et verdoyant. Sous-bois et champignons brillants.
Soirée chez Marine
Arrivée à Bonnieux vers 17h00, bien éreintés. On se pose un moment dans un bar sur les hauteurs du village. Marine vient gentiment nous chercher en camion. On s’y serre à 9, 7 personnes grimpent derrière, les 4 filles sont juchées sur le lit et les 3 gars sont par terre en position kayak. Le soir, accueil chaleureux chez Marine, et une bonne soupe chaude, courge, chorizo et pâtes sardes qu’elle a préparée pour nous, et des vins achetés sur la chemin à la fête de la gastronomie. On joue au loup garou. Très grosse pluie qu’on entend tambouriner sur le toit. On est heureux d’être là, ensemble, au sec et bien confortablement installés.
Nous repartons peu à peu vers nos chez nous, avec inscrits dans les yeux et dans nos muscles ces 20 km tout de même, avec nos sacs de 10 kg sur le dos, cette belle randonnée et ce merveilleux mélange de joie, de partage, de chaleur et de solidarité qu’est la grande famille.
Adam